Notre business, c’est de creuser des trous.
À bord de sa Diamond rugissante, Carl enchaîne les lampées de tord-boyaux et fonce vers Saint-Jude-le-Vaillant. Avec sa bedaine, ses souliers vernis et son Rutger .45, il est plus ou moins d’attaque pour sa mission : retrouver un prospecteur minier porté disparu, convaincre les villageois de céder à sa compagnie le droit de fouiller le sol… puis les saigner à blanc, évidemment.
Même si on l’a envoyé sur une gosse dans ce trou perdu au nord du 50e parallèle, Carl n’en demeure pas moins l’un des meilleurs lobbyistes de la business, et il compte bien faire un dernier coup de cash avant de prendre une retraite dans la ouate. Mais au fur et à mesure qu’il livre son opération de charme, il est enveloppé par l’étrangeté du village, le froid mordant d’octobre et ses propres remords : quelque chose se trame à Saint-Jude-le-Vaillant.
Une critique décapante du système capitaliste sur fond d’aurore boréale et de cour à scrap.
*
Diplômé en technologie forestière, en géographie et en pédagogie, Bruno Massé s’implique depuis 2001 dans le mouvement environnemental. Au nom du Réseau québécois des groupes écologistes, il a été membre à la Coalition Québec meilleure mine et du conseil stratégique de l’IRIS. Aujourd’hui professeur de géographie au cégep, il est l’auteur de plusieurs romans engagés, dont M9A. Il ne reste plus que les monstres (Sabotart, 2015), finaliste au prix Jacques-Brossard de la science-fiction et du fantastique en 2015.
Éditions Québec Amérique, collection Latitudes.
Page officielle de Québec Amérique
Je serre la main, surpris par la force de sa poigne, lui tends une carte d’affaires depuis la poche intérieure de mon veston. Un autre automatisme.
— Inspecteur environnemental ? dit-elle en lisant la carte, vaguement surprise. Vraiment ?
Supercherie. Foutaise.
— Bien sûr, je réponds. L’environnement, c’est important.
— Bien sûr, répète Bridge en écho, sarcastiquement. Y a pas à dire.
Nous filons lentement sur la route principale. Peu à peu, l’esquisse d’un village se dessine, délabré, à travers l’éclaircie dans l’immensité de la forêt noire. Nous émergeons de peine et de misère dans quelque chose, un lieu, la cicatrice d’un village oublié de tous.
Quelques détails se révèlent çà et là : une grange semi-effondrée dans un champ d’herbes jaunes, une laveuse rouillée abandonnée dans un fossé, les rameaux tordus d’aulnes près d’un ruisseau anémique. Octobre accompagne la déchéance du village avec sa touche funèbre – il n’y a pas de vie et pourquoi y en aurait-il de toute façon ?
Quel trou de bécosse !
Critiques
Radio-Canada, Josée Cameron, 11 mars 2018
Creuse ton trou: un roman engagé et explosif
Creuse ton trou de Bruno Massé est un réjouissant roman sur l’argent, la corruption et l’environnement. Dans cette histoire, il n’y a que le maire qui est sain d’esprit!
Synopsis : Carl Sauriol, lobbyiste sans scrupule, est en mission. Il doit retrouver un prospecteur minier qui aurait découvert un véritable trésor à Saint-Jude-le-Vaillant. Confiant, l’homme croit pouvoir résoudre le problème rapidement, mais rien ne se passera comme prévu.
On aime :
- Le ton pamphlétaire du roman;
- la folie des personnages secondaires et;
- l’écriture rythmée et efficace.
https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1088084/creuse-ton-trou-bruno-masse-quebec-amerique-roman
——————————————————
Le Devoir, Guillaume Lepage, 16 septembre 2017
Il danse avec les loups ★★★ 1/2
Difficile de ne pas penser au Plan Nord en trame de fond à la lecture de Creuse ton trou, dernier roman de Bruno Massé. Le géographe de formation, derrière M9A : il ne reste plus que les monstres (Sabotart), raconte, d’une manière crue et drolatique, l’histoire d’un village dans la ligne de mire d’une compagnie minière, motif à une critique sur l’exploitation au rabais de nos ressources naturelles.
À mi-chemin entre le thriller policier et l’expérience sociologique, Creuse ton trou démarre au quart de tour : dans une grosse cylindrée qui file à plein régime vers un no man’s land fictif dans le nord du Québec, au-delà du 50e parallèle : Saint-Jude-le-Vaillant, lieu étrange, quasi irréel. Au volant, Carl Sauriol, lobbyiste belliqueux et sans vergogne, à la solde d’une minière. C’est un plumeur professionnel qualifié par ses pairs de « meilleur dans la “business” ».
Son partenaire d’affaires et complice de longue date, Redgie, le charge de faire la lumière sur la disparition mystérieuse d’un prospecteur minier. Et puisqu’il sera sur place, pourquoi ne pas arracher au maire la bénédiction du village pour y rouvrir une nouvelle mine à ciel ouvert. Question de faire d’une pierre deux coups.
Mais rien ne va se dérouler comme prévu. Sauriol frappe son Waterloo… ou son caribou plutôt, lors d’un violent accident de voiture qui survient au début du récit. Il se frotte aussi aux gens de la place : une poignée tissée serré de personnages rocambolesques, les deux pieds bien enracinés dans leur coin de pays, et pour qui un lobbyiste roulant les mécaniques et semant son argent à tous les vents n’a rien de bien convaincant. L’enquête sur la disparition du prospecteur piétine. Les embûches sont abracadabrantes.
Romancier militant
Une sorte de manifeste écologiste déguisé en roman, ce dernier opus de Bruno Massé ? Normal, l’auteur est un militant de longue date et, depuis 2010, coordonnateur général du Réseau québécois des groupes écologistes. Creuse ton trou, c’est donc une charge contre les déprédations d’un « extractivisme » motivé par une quête continuelle de profit ; un roman de 260 et quelques pages comme autant de salves sur les conséquences que peut avoir l’industrie minière sur les communautés dont le sous-sol devient soudainement source de convoitise. Mais c’est aussi l’histoire d’un village qui résiste à l’envahisseur, un village peuplé d’irréductibles — québécois ceux-là — prêts à tout pour garder intact leur territoire. Sans oublier celle d’un lobbyiste, à l’approche de la retraite, qui sera mis devant les conséquences de son travail sur les collectivités mises à l’enchère pour leurs ressources naturelles.
« La manière que le monde va, le rythme qui accélère, ce qu’on a fait avec la planète, la façon qu’on traite le sol en dessous de nos pieds pis les gens qui habitent dessus, huit milliards d’imbéciles qui se mettent le gun sur la tempe, pillent tout ce qu’ils voient et peuvent juste pas s’en empêcher… Tu suis les nouvelles comme tout le monde. Tu penses que ça peut continuer longtemps ? »
C’est un roman noir et cynique, avec juste ce qu’il faut de vraisemblance pour faire sourire et de suspense pour être tenu en haleine.
http://www.ledevoir.com/culture/livres/508051/fiction-quebecoise-il-danse-avec-les-loups
——————————————————
Ton Barbier, P-A Buisson, 29 août 2017
Ce qu’on nous présente comme un récit « à mi-chemin entre le thriller et le documentaire engagé » est un drôle d’objet, aussi informatif que drôle, écrit dans un langage très vif qui fait en sorte qu’on le lit très rapidement. La région inspire beaucoup d’auteurs cette saison-ci, et nous nous en réjouissons; rien ne vaut une bonne histoire de campagne agrémentée du rugissements de moteurs et de l’explosion des tempéraments chauds.
http://www.tonbarbier.com/…/17-livres-quebecois-essentiels-…
——————————————————
Les Libraires, Alexandra Mignault, 28 août 2017
De son côté, Bruno Massé écorche le système capitaliste dans un roman qui flirte avec le thriller et le documentaire engagé. Dans un village fictif, on appréhende l’arrivée d’une compagnie minière. Carl, un lobbyiste envoyé pour charmer le village, voit ses plans se compliquer par les habitants qui n’ont pas dit leur dernier mot. Humour noir et ton mordant au menu de Creuse ton trou (Québec Amérique).
http://revue.leslibraires.ca/…/rentree-2017-litterature-que…
——————————————————
Salut Bonjour, Chrystine Brouillet, TVA, 26 août 2017
Le très cynique Carl Sauriol arrive à Saint-Jude-le-Vaillant à bord de sa Diamond en se jurant que c’est sa dernière mission comme lobbyiste pour une compagnie minière. Il doit retrouver Terry Meadows qui semble s’être évanoui dans la nature avec les résultats des forages…qui ont coûté très cher aux dirigeants. Carl a beaucoup d’expérience quand il s’agit de rouler les gens, mais la résistance qu’il rencontre à Saint-Jude le déstabilise. Qu’est-ce que ce village de fous où il a des hallucinations? Perd-il les pédales parce qu’il abuse du Cré Cabochon, un scotch plutôt rustique? Ou le mène-t-on en bateau?
Ce roman qui oscille très judicieusement entre le polar et le fantastique nous entraîne dans un univers méconnu, celui des chantiers de forages et de toutes les malversations à l’origine de véritables catastrophes écologiques. L’humour très caustique de l’auteur appuie formidablement la prise de conscience…
http://tva.canoe.ca/…/chroniques/detail/suggestions-lecture…
——————————————————
Le Journal de Montréal, Josée Boileau, 26 août 2017
Peut-on, sans faire la morale ni nous assener de leçons, donner à voir les ravages causés par la prospection minière dans les régions du Québec ? Assurément, démontre avec brio le dernier roman de Bruno Massé, qui fourmille de scènes amusantes, déconcertantes. Et subtilement riches d’enseignements.
Compliqué ?
Dans quel guêpier Carl Sauriol, héros de Creuse ton trou, s’est-il fourré ? À l’approche de sa retraite, la firme de lobbying pour laquelle il travaille lui confie une dernière mission. Il s’agit de grimper dans le nord du Québec, au petit village de Saint-Jude-le-Vaillant, pour retrouver un prospecteur minier qui a disparu et obtenir du maire son accord pour qu’une compagnie minière vienne y fouiller le sol.
Compliqué ? Non, pas quand on a derrière la cravate tout un passé de missions du même type, menées en Afrique comme en Amérique du Sud et en Asie. Pas quand on est, comme Carl, l’un des meilleurs lobbyistes de sa profession. Non, ce n’est pas un village québécois qui va nous impressionner !
Hélas, dès le départ, ça ira de travers : alors qu’il est presque rendu à Saint-Jude, l’efficace lobbyiste se bute à un caribou qui envoie sa voiture dans le fossé. Mauvaise rencontre, la première d’une longue série. L’un après l’autre, les aimables habitants du village arrivent à dérouter ses manœuvres de séduction, de corruption (Carl, en bon manipulateur, a toujours sous la main des dollars à distribuer), de menaces (Carl, en habitué des coups durs, traîne toujours un Rutger .45). Notre homme en perd tous ses repères.
De mal en pis
Pendant ce temps, à Montréal, la pression s’accentue. La minière veut son entente, et rapidement. Redgie, complice d’affaires de longue date de Carl et maintenant son superviseur, ne veut donc rien savoir des difficultés de son collègue. Compliqué ? À Saint-Jude, ce « trou de bouette » ? Allons, Carl, ressaisis-toi !
Mais ça ira de mal en pis. De Brigitte Lahaie, remorqueuse, à Kevun avec un « u », en passant par Fern, Cherry et Gros Bobbé, jusqu’au curieux maire Lerose, nul ne donnera de répit à Carl. Il faut bien plus que creuser un trou pour réussir une opération minière !
Le roman aurait pu verser dans l’enquête policière (après tout, il y a un disparu à retrouver) ou dans la grande dénonciation politique (lobby, affaires, faveurs à acheter : tout y invite). Mais grâce à son humour grinçant et à ses fines observations sur la vie loin des grands centres, Bruno Massé fait bien mieux : il nous raconte une histoire de résistance au ras du sol. Elle met en scène du vrai monde qui, chacun de son bord de clôture, aspire à la tranquillité – sous forme de retraite à venir pour l’un, de qualité de vie à préserver pour les autres.
Et sur fond d’invraisemblances rigolotes, tout aura été mis en lumière : la désinvolture des gros face à l’ingéniosité des petits. Dans le roman, ceux-ci gagnent, et on sourit, mais dans la vraie vie ?
http://www.journaldemontreal.com/2017/08/26/comment-emberlificoter-un-lobbyiste